Dès lors qu’une personne créée une œuvre de l’esprit, il est nécessaire que celle-ci soit protégée. C’est le rôle des droits de propriété intellectuelle, ce sont l’ensemble des droits conférés à l’individu par une création intellectuelle. Ils donnent généralement au créateur un droit exclusif sur l’utilisation de la création pour une certaine période. Alors que certains droits de propriété intellectuelle sont acquis automatiquement, du fait même de la création de l’œuvre – comme le droit d’auteur en France – pour être protégé par d’autres droits de propriété intellectuelle, il est nécessaire d’accomplir des formalités, c’est le cas de l’obtention d’un droit de marque pour laquelle il est nécessaire de répondre à un certain nombre de critères. Comment obtenir cette protection ?
Le contrôle de la propriété intellectuelle
Au sein de l’Union européenne, il existe un système à 4 niveaux pour enregistrer une marque. Le choix de la protection dépend des besoins de l’entreprise. Certaines entreprises n’ont vocation à déployer leur activité que dans l’Etat membre de l’Union dans lequel elles sont établies, par conséquent elles n’enregistreront leur marque qu’au niveau national.
Certains pays ont développé un système commun de protection des droits de propriété intellectuelle. La protection s’exerce donc à un niveau régional, c’est le cas de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg qui disposent d’un organe commun dans le contrôle de la propriété intellectuelle : l’office Benelux de la Propriété intellectuelle.
L’Union Européenne a développé son propre régime de protection des marques pour permettre à toutes les entreprises pour qui il est nécessaire de bénéficier d’une protection dans tous les Etats membres de l’Union de jouir de celle-ci. L’office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) est responsable de la gestion des marques.
Pour compléter ce système une convention internationale a été conclu afin de protéger les marques au niveau international : il est possible d’étendre la protection accordée par l’un des 3 autres niveaux à l’échelle internationale à tous pays signataire du protocole de Madrid.
Pour l’ensemble des niveaux de ce système, des conditions sont à remplir pour bénéficier d’une protection au titre du droit des marques. La directive 2015/2436 a eu pour but d’harmoniser la législation sur les marques des Etats membres. Pour promouvoir le développement des activités économiques « il apparaît nécessaire de prévoir un régime de marques de l’Union conférant aux entreprises le droit d’acquérir, selon une procédure unique, des marques de l’Union européenne qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets sur tout le territoire de l’Union », c’est le rôle du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017, complété par le règlement délégué (UE) 2018/625 du 5 mars 2018. Malgré la vocation de ces règlements à s’appliquer pour le droit des marques européen, ils ont eu une incidence sur les droits des différents Etats membres. L’article 4 du règlement de 2017 précise que constituent des marques tous les signes propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises et pouvant être représentés dans le registre des marques de l’Union européenne « d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leurs titulaires ».
« un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale »
Cette définition a dû être prise en compte par les réglementations nationales. C’est le cas du droit français qui a modifié sa définition de la notion de marque à l’article 711-1 du Code de commerce. Alors qu’elle était définie comme « un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. » Depuis 2019, l’article ne prend plus en compte la notion de « représentation graphique » dans sa définition de la marque : la marque est « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales. ». Comme pour le droit français, la convention Benelux a été modifié en supprimant l’exigence de représentation graphique, est inscrit à l’article 2.1 de cette convention que « Peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, ou les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs, la forme d’un produit ou de son conditionnement, ou les sons, à condition que ces signes soient propres à :
- distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ; et
- être représentés dans le registre d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leur titulaire. ». Cette nouveauté peut constituer une opportunité pour les entreprises car de nouveaux éléments pourraient faire l’objet d’une protection sous le droit des marques, par exemple il serait envisageable d’imagine une marque sonore. L’EUIPO a déjà admis cette possibilité en accordant la qualité de marque le bruit d’ouverture d’un bouchon de champagne pour désigner des bières et boissons alcoolisées pourtant, la reconnaissance d’une marque sonore semble plutôt complexe, car de nombreuses demandes ont été refusées par les autorités. L’une d’entre elles a donné lieu à un arrêt du tribunal de l’Union européenne du 7 juillet 2021. Il a refusé de reconnaitre comme marque le bruit d’ouverture d’une canette de boisson, suivi d’un silence d’1 seconde et d’un pétillement de 9 secondes. L’EUIPO avait considéré que « un son inhérent à l’usage des produits en cause, de sorte que le public pertinent percevrait ladite marque comme un élément fonctionnel et une indication des qualités des produits en cause et non comme une indication de leur origine commerciale. ». Pour pouvoir obtenir la qualification de marque, le tribunal ajoute que « qu’il est nécessaire que le signe sonore dont l’enregistrement est demandé possède une certaine prégnance permettant au consommateur visé de le percevoir et de le considérer en tant que marque et non pas en tant qu’élément de nature fonctionnelle ou en tant qu’indicateur sans caractéristique intrinsèque propre. ». En l’espèce, on ne peut pas considérer que le son produit par la canette se distingue de celui produit par d’autres. Le caractère distinctif ne peut donc pas être retenu. Mais il convient de préciser que le caractère distinctif d’une marque sonore ne peut s’apprécier de la même manière que celui d’une marque tridimensionnelle (que nous verrons ultérieurement) car la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle que dans le cas d’une marque sonore.
Se pose encore la question de savoir : sera-t-il possible d’enregistrer des marques plus atypiques telles que des marques olfactives ou gustatives ?
Certaines conditions doivent être remplies pour bénéficier d’une protection au titre du droit des marques : seule une marque licite, disponible, susceptible de représentation graphique et distinctive peut être protégée par le droit des marques.
Le caractère distinctif est prévu à l’article 7 du règlement de 2017 mais celui-ci ne définit en rien ce qu’est un « caractère distinctif ». Se pose donc la question de savoir comment cette notion doit être interprétée.
Le Public pertinent doté d’un niveau d’attention allant de moyen à élevé
Le tribunal de l’Union européenne a apporté une réponse dans un arrêt du 14 juillet 2021 par lequel il a annulé la décision rendue par la chambre de recours de l’EUIPO qui avait refusé l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle déposée par Guerlain pour manque de distinctivité. La marque tridimensionnelle va généralement protéger la forme d’un produit ou son conditionnement dès lors qu’il présente une certaine particularité, par exemple, les figurines Lego sont une marque tridimensionnelle (Tribunal de l’UE, 16 juin 2015, T‑395/14). La société Guerlain a déposé une demande de marque tridimensionnelle afin de protéger sous le droit des marques la forme de son tube de rouge à lèvre. Cette demande a été rejetée sur le fondement de l’article 7 paragraphe 1 b) du règlement (UE) 2017/1001 au motif que la forme du tube de rouge à lèvres n’était pas distinctive. Conformément à l’arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, le Tribunal rappelle que « Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent », mais l’appréciation du caractère distinctif d’une marque ne se fonde pas sur le critère de la nouveauté ou de l’originalité d’un produit, seule compte le fait « que la marque permette au public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services protégés par celle-ci et de les distinguer de ceux d’autres entreprises ». Les juges européens ont considéré que la forme particulière du rouge à lèvres permettait au « public pertinent doté d’un niveau d’attention allant de moyen à élevé » d’identifier l’origine des produits concernés, il se distingue donc de ceux de ses concurrents.
En plus des critères classiques pour qu’une marque puisse être enregistrée, la marque tridimensionnelle doit répondre à des conditions particulières, il est prévu à l’article 7 paragraphe 1 e), que sont refusés à l’enregistrement : « les signes constitués exclusivement :
par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; […] nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ; […] qui donne une valeur substantielle au produit ; ». Par conséquent, le produit donc la forme n’est guidée par sa fonction ne peut faire l’objet d’une protection. Bien que l’EUIPO ait considéré que la forme du rouge à lèvres Guerlain n’était guidé que par sa fonction, les juges européens n’ont pas suivi ce raisonnement et ont conclu à la validité de l’enregistrement de la marque du fait des caractéristiques spécifique du produit.
Les consommateurs se fondent sur un signe et non sur le forme d’un produit ou son emballage
À l’occasion de cet arrêt, le Tribunal rappelle que « Les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques ». Mais la preuve de la distinctivité des produits peut être plus difficile à apporter, notamment du fait que « la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par l’apparence du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. », cela est notamment du au fait que généralement, pour présumer l’origine d’une marque les consommateurs se fondent sur un signe et non sur le forme d’un produit ou son emballage.
On a pu constater la difficulté d’obtenir la qualification de marque tridimensionnelle, la CJUE a notamment refusé dans un arrêt du 24 février 2016 cette qualification à l’entreprise Coca-Cola pour les bouteilles en métal, en verre et en plastique qui reprenaient la forme de la bouteille iconique en verre, mais sans les cannelures. Les juges ont relevé que aucune caractéristique sur la bouteille Coca-Cola présentée ne permettait de la distinguer des bouteilles des autres entreprises.
Ensuite, la nouvelle législation européenne accorde une protection accrue aux titulaires de droits antérieurs, par exemple ils ont désormais la possibilité d’engager une procédure d’opposition à l’enregistrement de la marque. Le règlement accroit le champ des antériorités opposables : les noms commerciaux, les enseignes, les indications géographiques etc. Cela implique que dès lors qu’il « existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée », la marque pourra se voir refuser sa demande d’enregistrement (article 8 règlement 2017/1001). Cette nouveauté permet d’assurer une protection plus efficace aux acteurs économiques qui peuvent désormais bénéficier de droits de protection vis-à-vis d’une potentielle marque sans être titulaire d’une marque enregistrée.
Est aussi accordée une protection plus importante aux titulaires de la marque eux -mêmes, l’article 9 du règlement 2017/1001 leur accorde de nouveaux droits : « le titulaire de cette marque de l’Union européenne est en outre habilité à empêcher tout tiers d’introduire des produits, dans la vie des affaires, dans l’Union sans qu’ils y soient mis en libre pratique, lorsque ces produits, conditionnement inclus, proviennent de pays tiers et portent sans autorisation une marque qui est identique à la marque de l’Union européenne enregistrée pour ces produits ou qui ne peut être distinguée, dans ses aspects essentiels, de cette marque. ». Cette disposition est l’une de celle qui a entrainé une modification de la loi irlandaise de 1996 sur les marques : désormais, le titulaire d’une marque enregistrée a la possibilité d’empêcher tout tiers d’apporter des produits dans l’Etats lorsqu’ils proviennent de pays tiers et portent sans autorisation une marque identique à la marque enregistrée dans l’État.
Finalement, on constate que la nouvelle législation européenne sur les marques a modifié la législation de nombreux Etats membres et qu’elle offre de nouvelles possibilités aux entreprises, autant dans la protection de leurs droits déjà acquis que pour en acquérir de nouveaux.
Eternoscorp reste à votre disposition pour vous accompagner dans vos démarches pour protéger vos droits de propriété intellectuel ainsi que pour vous soutenir en cas de violation de ces droits par un tiers.
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