Lorsqu’une invention brevetée est un principe actif d’un médicament ou d’un produit phytosanitaire, son exploitation commerciale est soumise à l’octroi d’une autorisation délivrée par une autorité compétente. Le problème de cette procédure est qu’elle peut parfois prendre jusqu’à dix ans. Malgré cela, la durée de validité du brevet continue de courir pendant ce temps et le détenteur du brevet ne peut pas exploiter son brevet commercialement, Pour pallier cette problématique, il peut demander la délivrance d’un certificat complémentaire de protection (CCP). C’est un titre permettant de prolonger la durée de protection d’un produit entrant dans la composition d’un médicament couvert par un brevet. Il permet de compenser le temps nécessaire à l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de nouveaux médicaments qui peut retarder considérablement l’exploitation sous monopole du brevet. Il est un moyen de bénéficier d’une protection supplémentaire à l’expiration du brevet pour une durée maximale de 5 ans et demi. Ce titre est délivré par les différents offices de l’Union Européenne sur la base du règlement communautaire n°469/2009. Des conditions de fonds et de forme doivent être respectées pour obtenir la délivrance de ce droit. Celles-ci sont prévues à l’article 3 du dit règlement qui énonce que « Le certificat est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande : […] b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité […] d) l’autorisation mentionnée au point b) est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament. ». Cela signifie que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) doit être la première qui a été réalisée.
La qualification d’une AMM en tant que première autorisation de mise sur le marché
Pourtant, se pose différentes problématiques face à cette notion de « première autorisation de mise sur le marché ». Tout d’abord, peut-on considérer qu’une AMM est la première si une AMM a été ultérieurement délivrée concernant un médicament différent mais contenant le même principe actif ? Une réponse négative à cette question impliquerait que le médicament ne pourra pas obtenir de CCP. Une seconde question qui se pose à la suite de celle-ci est celle de savoir si le champ d’application de la protection du brevet de base doit être pris en compte dans la qualification d’une AMM en tant que « première autorisation de mise sur le marché.
Par une décision du 19 juillet 2012, la Cour de Justice a remis en question l’interprétation jurisprudentielle d’une règle qui était jusqu’alors constante. En effet, par l’arrêt Neurim, la CJUE a considéré que « la seule existence d’une autorisation de mise sur le marché antérieure obtenue pour le médicament à usage vétérinaire ne s’oppose pas à ce que soit délivré un certificat complémentaire de protection pour une application différente du même produit pour laquelle a été délivrée une autorisation de mise sur le marché, pourvu que cette application entre dans le champ de la protection conférée par le brevet de base invoqué à l’appui de la demande de certificat complémentaire de protection. »
Cette décision signifie qu’un CPP pourra être obtenu pour une application ultérieure et différente d’un produit déjà connu. Pourtant des questions auxquels les juges n’ont pas répondu perdurent : la portée de cet arrêt doit-elle être limitée aux faits de l’espèce ou peut-elle être appliquée plus largement ?
Une application générale impliquerait que les offices nationaux des brevets auraient la possibilité d’interpréter la notion « d’application différente ». Cette faculté serait contraire à l’objectif du règlement CCP qui a pour but d’harmoniser la réglementation au sein du marché intérieur. En effet, chaque office national des brevets se posera la question de savoir : à quoi la notion « d’application différente » fait-elle référence ? Renvoie-t-elle à la posologique ? Peut-on considérer qu’une nouvelle formulation est une application différente du même produit ? Une application thérapeutique pour une maladie différente rempliera-t-elle les conditions ?
C’est un ensemble de questions auxquelles les offices nationaux des brevets ont dû répondre, chacun adoptant sa propre interprétation ce qui conduit à une hétérogénéité dans l’application du droit communautaire sur le territoire de l’Union européenne.
Face à ces difficultés, le 19 juillet 2020, la CJUE a procédé à un véritable revirement de jurisprudence. Dans son arrêt Santen, elle a affirmé qu’une autorisation de mise sur le marché ne peut pas être considérée comme étant la première autorisation de mise sur le marché lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique.
Le Certificat Complémentaire de Protection
Dans cette affaire, la société Santen est un laboratoire pharmaceutique titulaire d’un brevet européen qui protège notamment une émulsion ophtalmique dans laquelle le principe actif est la ciclosporine et d’une autorisation de mise sur le marché communautaire pour le médicament Ikervis dont le principe actif est la ciclosporine. Sur le fondement du brevet et de l’autorisation de marché, Santen a déposé une demande de Certificat Complémentaire de Protection (CCP) pour un produit dénommé « ciclosporine pour son utilisation dans le traitement de la kératite ».
Cette demande a été rejetée par le directeur de l’INPI. Il s’est fondé sur l’article 3 du règlement 469/2009 et a considéré qu’une autorisation de mise sur le marché avait déjà été délivrée en 1983 pour un médicament, commercialisé sous le nom de « Sandimmun » dont le principal actif était la « ciclosporine ». S’est donc posée la question de savoir si les médicament Sandimmum et Ikervis portent sur la même application thérapeutique. Dans cette situation, la Cour d’appel de Paris a interrogé la CJUE afin de lui soumettre plusieurs questions préjudicielles.
La première problématique est la suivante : « La notion d’“application différente”, au sens de l’[arrêt Neurim], doit-elle s’entendre de manière stricte […] ou de manière extensive » ? Une interprétation stricte de la part des juges européens consisterait soit à considérer que l’application différente consiste à appliquer à des humains un produit à la suite d’une application à usage vétérinaire, soit à indiquer un nouveau champ thérapeutique dans une nouvelle spécialité médicale, soit finalement être apprécié selon des critères plus exigeants que ceux utilisés pour apprécier la brevetabilité de l’ancienne invention. Au contraire une interprétation extensive reviendrait à considérer que l’application différente inclue des indications thérapeutiques et des maladies différentes, mais aussi des formulations, posologies et/ou modes d’administration différents.
Les CCP concernant les médicaments sont régis par le règlement n°469/2009. L’article 3 du dit-règlement impose plusieurs conditions cumulatives à respecter pour obtenir la délivrance d’un CCP, il est notamment prévu au point d) que l’autorisation de mise sur le maché du produit, en cours de validité doit être « la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament ».
Les juges européens sont venus mettre fin au débat concernant la portée de l’arrêt Neurim : doit-elle être limitée aux faits d’espèce ou bien pourra-t-elle avoir une portée plus large qui impliquerait donc une possibilité d’interprétation par les offices nationaux des brevets ?
La Cour prend la décision de renverser sa jurisprudence et clôt les débats portant sur l’article 3 d) du règlement CCP. Dans un premier temps, elle s’est interrogée sur la signification du terme « produit » défini par l’article 1 b) comme « le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament ». Se pose ensuite la question de savoir ce qu’est un « principe actif ». Le règlement n° 469/2009 n’apporte pas de définition de cette notion, il est donc nécessaire de la définir conformément au sens qu’on lui donne dans le langage courant. A cet égard la Cour a jugé que la notion de « principes actifs » n’inclut pas « les substances entrant dans la composition d’un médicament qui n’exercent pas une action propre sur l’organisme humain ou animal ». Par conséquence cette notion renvoi aux substances qui ont un effet thérapeutique propre. Ainsi la notion de produit renvoie aux substances qui ont un effet thérapeutique propre, en ce sens, les juges européens considèrent « que le fait qu’un principe actif, ou une combinaison de principes actifs, soit utilisé aux fins d’une nouvelle application thérapeutique ne lui confère pas la qualité de produit distinct dès lors que le même principe actif, ou la même combinaison de principes actifs, a été utilisé aux fins d’une autre application thérapeutique déjà connue. »
La seconde question préjudicielle que la Cour d’appel de Paris a posée à la CJUE est la suivante : une AMM délivrée pour une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif et qui est la première à relever du champ de protection du brevet de base peut-il être considéré comme étant la première AMM délivrée au sens de l’article 3, sous d) du règlement n°469/2009 visant à demander une CCP ?
Les juges européens ont relevé que « ladite disposition ne se réfère pas au champ de protection du brevet de base ». Ils considèrent que la prise en compte du champ de protection du brevet de base pour déterminer la première AMM au sens de l’article 3 d) conduirait à remettre en question la définition de la notion de « produit » évoquée précédemment. Par cette affirmation, la Cour de justice procède à un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt Neurim dans lequel elle avait pris en compte le champ de protection du brevet de base pour définir ce qu’est un produit.
Se pose donc la question de savoir : comment doit-on définir la notion de « première AMM » en prenant en compte que le champ de protection du brevet de base n’entre plus en considération dans cette définition ?
Ainsi, les juges soulignent que si une AMM a été délivrée pour une application thérapeutique d’un produit, mais qu’une autre avec déjà été délivrée auparavant pour une autre application du même produit, alors ce sera cette dernière qui sera considérée comme la première AMM au sens de l’article 3 d) de la directive n°469/2009.
Finalement la CJUE répond aux questions préjudicielles de la façon suivante : « une autorisation de mise sur le marché ne peut pas être considérée comme étant la première autorisation de mise sur le marché, au sens de [l’article 3, sous d), du règlement no 469/2009], lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif, ou d’une combinaison de principes actifs, qui a déjà fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché pour une autre application thérapeutique. »
Cette décision marque une véritable rupture avec la jurisprudence Neurim. Bien qu’elle puisse être contestée, la CJUE écarte toutes les incertitudes qui allaient de pair avec la jurisprudence antérieure et énonce une règle claire et sans ambiguïté.
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