Le brevet constitue un droit de propriété industrielle qui confère à la personne qui le détient un droit exclusif d’exploitation sur l’invention brevetée. Il permet notamment à la personne qui en est titulaire d’interdire à quiconque d’utiliser l’invention brevetée sans autorisation. Les droits attachés au brevet peuvent être cédés à un tiers de manière exclusive ou non et en totalité ou en partie. En droit français, il est prévu à l’article L613-8 du Code de la propriété intellectuelle que « Les droit attachés à une demande de brevet ou à un brevet sont transmissibles en totalité ou en partie. Ils peuvent faire l’objet, en totalité ou en partie, d’une concession de licence d’exploitation, exclusive ou non exclusive ». Ainsi le brevet pourra être l’objet d’une licence, d’une cession, d’un apport en société ou nantissement. Le problème qui se pose concernant cette possibilité de cession est que c’est un accord purement contractuel pour lequel la loi ne pose aucune condition précise concernant la volonté des parties par exemple. Cela implique qu’il est possible de céder le brevet à une personne ou une société dont le seul but est d’en tirer profit, faisant perdre au brevet sa portée initiale : inciter à l’innovation et permettre le progrès économique, industriel etc. C’est une situation que l’on retrouve de plus en plus avec l’émergence des non practicing entities, plus souvent appelées patent trolls.
Les patent trolls
Les patent trolls sont des sociétés qui profitent des failles du système juridique des brevet pour les détourner de leur application -protéger une innovation technique – et en faire des moyens d’engagement de procédures judiciaires. Elles rachètent des brevets pour profiter du monopole d’exploitation qu’ils confèrent et poursuivent en contrefaçon les entreprises contrefaisantes. Ces entreprises n’ont aucun objectif d’innovation ou de projet de recherche et développement, le seul but est de faire du profit par la menace d’action en justice, ce système est une stratégie purement financière qui consiste à faire pression sur les entreprises. Les plus pénalisées par ce système sont les petites entreprises qui n’ont pas les moyens financiers de s’engager dans un procès donc qui se tournent vers des arrangements à l’amiable. Se pose donc la question de savoir quelles sont ces failles qui permettent aux chasseurs de brevet de profiter du système et comment lutter contre.
Initialement les patent trolls ont émergé aux Etats-Unis. Leur émergence a été permise par un champ de brevetabilité extrêmement étendu, une allocation par le juge américain de dommages et intérêt très élevée ainsi qu’un pouvoir d’injonction automatique en cas de contrefaçon de brevet. Par l’utilisation des faiblesses du système de brevet, les chasseurs de brevets se sont imposés auprès des grandes sociétés en les incitant à conclure des transactions de plusieurs millions de dollars plutôt que de s’engager dans des procès extrêmement couteux dont l’issue est incertaine. Leur fonctionnement est simple : un achat massif de brevet puis la recherche d’un profit soit par la menace d’actions en justice pour contrefaçon de brevet, soit en obligeant les sociétés qui utilisent ces brevets sans le savoir à conclure des accords de licences à des prix élevés et souvent abusifs
Jusqu’à récemment, les patent trolls avaient peu d’impact dans l’Union Européenne, cela s’explique par le fait que pour que le procès qu’ils entament soit rentable, ils doivent s’attaquer à un marché plus important qu’une seule nation et au sein de l’Union européenne, la majorité des brevets sont délivrés à l’échelle nationale. Le seul moyen pour les patent trolls d’œuvrer sur le territoire européen serait d’utiliser un brevet européen, mais les conditions pour en bénéficier sont strictes et complexes. Le brevet européen est délivré par l’Office européen des brevets créé par la Convention sur le brevet européen de 1973 qui réunit 38 Etats européens. Pour qu’un brevet soit reconnu par l’office européen des brevets, le titulaire doit obtenir la validation des 38 Etats membres. L’article 14 de la convention sur le brevet européen prévoit que les trois langues de l’Office européen des brevets sont l’allemand, l’anglais et le français et que « Toute demande de brevet européen doit être déposée dans une des langues officielles ou, si elle est déposée dans une autre langue, traduite dans une des langues officielles. ». Cela implique des coûts supplémentaires importants pour les titulaires. A cette procédure déjà compliquée, il faut ajouter le paiement de plusieurs taxes pour effectuer une demande de brevet, impliquant des frais supplémentaires, par exemple l’article 78 prévoit que « La demande de brevet européen donne lieu au paiement de la taxe de dépôt et de la taxe de recherche. Si la taxe de dépôt ou la taxe de recherche n’a pas été acquittée dans les délais, la demande est réputée retirée. ».
Le Brevet Unitaire Européen
La rigueur du brevet européen a donc dissuadé les patent trolls d’intervenir sur le territoire européen. Même si on constate que certains sont tout de même passés entre les mails du filet. En décembre 2010, le système de l’Union européenne a semblé faire défaut. Un litige a opposé les sociétés Nokia et HTC face à la non practicing entities IPCom. Cette dernière a engagé une action en contrefaçon de brevet devant les juridictions allemandes. Pour comprendre ce litige, il faut remonter quelques années en arrières : en 2003, Nokia négociait avec la société allemande Robert Bosch GmbH, un grand équipementier automobile, au sujet de l’octroi de licences pour le portefeuille de brevets de communications mobiles de Bosch que Bosch considérait comme essentiel pour Nokia. Bosh et Nokia ont apporté une contribution significative au processus de normalisation sur le premier système de communication mobile numérique GSM. Les deux sociétés se sont engagées à accorder des licences pour tous les brevets essentiels standard à des conditions justes, raisonnables et non discriminatoires. Les négociations de licences ont duré jusqu’en 2007 et ont finalement été rompues faute d’accord entre les deux parties. Cela a donné lieu a un litige et les juges de 1ère instance ont considéré qu’aucun contrat de licence n’avait été conclu, par conséquent, Nokia n’a aucun droit sur les éléments constitutifs du brevet. La décision de la Cour d’appel n’a pas été rendue mais, malgré cela, Bosh a vendu son portefeuille de brevets de communications mobiles à la société IPCom. Depuis, les actions de la part d’IPCom contre Nokia se sont multipliées, sans succès pour le patent troll, jusqu’à une décision du tribunal régional allemand de 2011. En décembre 2010, la Cour allemande des brevets avait statué sur l’invalidité du brevet revendiqué par IPCom, cette décision a été cassée par le tribunal régional allemand qui a accordé une victoire à IPCom
Malgré cette décision, les litiges concernant la violation de droits de propriété intellectuelle qui impliquent des patent troll restent minoritaires en Europe, mais cette situation pourrait être remise en cause avec l’émergence d’une nouvelle catégorie de brevet : le Brevet Unitaire Européen.
Cette nouveauté a été introduite par le règlement (UE) n°1257/2012 du 17 décembre 2012 mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet qui prévoit que « La principale caractéristique d’un brevet européen à effet unitaire devrait être son caractère unitaire, c’est-à-dire la faculté de fournir une protection uniforme et de produire les mêmes effets dans tous les États membres participants. ». L’entrée en vigueur de cette réglementation était fixée au 1er janvier 2014, date à laquelle l’Accord sur le Juridiction Unifiée des Brevets devait lui-même entrer en vigueur. Pourtant, celle-ci ne s’appliquera pas tout de suite malgré le fait que le règlement de 2012 soit en vigueur. En effet, la Cour constitutionnelle Allemande doit statuer sur la conformité de l’accord avec la Constitution une seconde fois. Elle a déjà eu l’occasion de statuer sur l’accord JUB en 2017 et les juges ont conclu à l’inconstitutionnalité de la loi de ratification. Pourtant on constate que les démarches sont engagées pour que soit mise en place ce brevet unitaire européen : le 25 juin 2015, l’Office Européen des Brevet a approuvé la proposition relative aux coûts d’un brevet unitaire européen, le coût dépendra de la durée du brevet, par exemple pour 5 années de protection, le coût sera de 5000€. Cela représente une réduction des coûts du brevet de 78%, cela pourrait donc permettre de faciliter l’accès au brevet européen.
Malgré cette l’innovation européenne que peut représenter cette réforme, celle-ci peut aussi être vue comme un danger car il permettrait le développement des patent trolls. En effet, il a pour but de de faciliter l’accès aux poursuites sur l’ensemble du territoire européen. Alors qu’auparavant, le titulaire d’un brevet qui souhaitait engager une action en contrefaçon devait saisir une juridiction nationale qui appliquerait sa propre législation en matière de brevet, ce qui impliquait de trouver laquelle serait la plus favorable, désormais il pourra saisir une juridiction unifiée au niveau européen. Ensuite, cette nouvelle réglementation met en place une protection unitaire dans tous les Etats membres, cela permet une réduction des frais supplémentaires notamment en matière de traduction et de frais de procédure car le demandeur n’est plus obligé de faire reconnaitre son brevet dans chaque pays.
Une structure étatique qui n’a aucune activité inventive, mais fait payer des licences sur les brevets dont elle prend la gestion, au besoin par les voies judiciaires
Bien que cette simplicité d’acquisition du brevet sur l’ensemble du territoire européen semble avantageuse pour le développement des entreprises et l’innovation, elle a suscité de nombreuses inquiétudes. Le 26 septembre 2013, une coalition d’entreprises américaines et européennes comme Google, Adidas et Microsoft, a envoyé aux Etats membres de l’Union et aux institutions européennes une lettre ouverte afin de les informer des risques liés à cette réforme du brevet unitaire européen et de leurs inquiétudes concernant le développement des patent trolls qui pourrait surgir avec cette nouvelle législation.
Il semble que leur demande n’ait pas été entendue car en janvier 2020, près de 150 entreprises se sont réunies afin d’envoyer une lettre à Thierry Breton, Commission européen au marché intérieur pour lui demander de prendre des mesures pour mettre un frein au développement des patent trolls et de garantir le principe de proportionnalité dans les décisions liées aux affaires de brevets par les juges des Etats membres de l’Union européenne afin de corriger les déséquilibres existants dans le système des brevets. La Commission va donc devoir trouver un équilibre entre défense des consommateurs et lutte contre la contrefaçon.
Mais alors que les patent troll sont vues de manière négative. Ils peuvent être assimilés à un moyen de garantir le respect de la propriété intellectuelle. En France, on a vu émerger le fonds d’investissement public France Brevets qui a pour objectif de valoriser les brevets des entreprises et des organismes publics de recherche. Il a pour objectif de constituer « un large portefeuille de droits de propriété intellectuelle, issus de la recherche publique et privée, les valorisera en les réunissant en grappes technologiques ». Cette définition se rapproche de celle qu’on connait des patent troll. Et son mode de fonctionnement semble similaire : une structure étatique qui n’a aucune activité inventive, mais fait payer des licences sur les brevets dont elle prend la gestion, au besoin par les voies judiciaires. Ce fut le cas en 2013, lorsque France Brevets a entamé une action en justice contre les sociétés HTC et LG pour avoir utilisé, dans leurs produits, des brevets appartenant au fonds. Alors que la société LG a accepté de trouver un accord à l’amiable et a finalement trouvé accepté de signer un contrat de licence, HTC n’a pas souhaité suivre cette voie. En 2015, la Cour d’Appel de Düsseldorf a finalement validé la décision de 1ère instance qui a condamné HTC pour violation des droits de propriété intellectuelle détenus par France Brevets sur des technologies de communication sans contact.
Stratégies pour éviter d’être confronté à ce type de sociétés
Mais le développement de ces fonds étatiques pourrait constituer un moyen de défense contre les patent troll dont le seul but est de tirer un profit. Au contraire, les fonds d’investissements étatiques sont encadrés et ont un autre objectif qui est d’inciter à l’innovation et de protéger les droits de propriété intellectuelle, bien que leur méthode sont similaires à celle des entités privées, le but est tout autre et permet de limiter les dérives de ce type d’action.
En conséquence, on constate qu’aujourd’hui les patent troll sont présents dans la société et que les entreprises n’ont d’autres choix que de les côtoyer, pourtant il est possible de se protéger contre ces sociétés. Dans un premier temps il est nécessaire de savoir les reconnaitre : pour quel montant la société offre-t-elle de régler l’affaire ? Si le montant est faible alors c’est qu’elle a généralement mis en demeure des centaines de défendeurs qui contreviennent à ses droits et qu’elle cherchera àa minimiser le temps consacré à chaque poursuite. Il est fort probable que ce soit un patent troll.
Il est possible de mettre en place des stratégies pour éviter d’être confronté à ce type de sociétés : l’achat d’un groupe de brevets connexes à une technologie que vous souhaiteriez exploiter dans le futur pour qu’il ne soit pas approprié par un patent troll, l’étude des sociétés patent troll dans votre domaine, l’établissement de procédures en cas de litige avec ce type de sociétés etc. De nombreuses possibilités s’offrent à vous, il est nécessaire de trouver la meilleure procédure en fonction de votre situation.
Eternoscorp reste à votre disposition, que ce soit pour mettre en place des procédures pour éviter d’être confronté à une société patent troll ou à vous accompagner en cas de litige avec ce type de société.
Besoin de conseils en lien avec ce sujet ?
Faites appel à nos experts !
Que pensez-vous de cette analyse ?
Réagissez !